Activité : canyonisme
Lieu : Saorge (Alpes Maritimes)
Durée : 2 jours les 7 et 8 Octbre 2017
Participants : Thomas dit BelVita, Fred dit le Cubi, Christian votre serviteur pas de sobriquet connu…
« C’est encore loin ? Ça fait combien d’heures qu’on marche, qu’on nage, qu’on porte ce maudit sac qui me scie les épaules. Et ce bief qui n’en finit pas, pis l’eau c’est quand même pas les bains douches y avait quand même un sanglier crevé dans la dernière baignoire, tiens faut que j’pense à changer l’eau des poissons… non mais je vais finir par me noyer d’épuisement et Fred qui court devant, faut pas lâcher maintenant, je vais dépasser Thomas il a l’air de fléchir un peu, ça va me réconforter de plus être derrière… ça va Thomas ? Il me propose encore une fois un BelVita je lui fais avaler le plastique ! Putain mais qu’est-ce qu’on fout là, quel est le con qu’y a eu l’idée ? »
L’idée…
Va savoir comment naissent les idées folles…souvent des soirs de fatigue et des vapeurs d’alcool. Le plus bravache d’entre nous, le ptit jeune semble ignorer le principe de réalité, on lui dit « on fait ça sur deux jours » et l’inconscient vous répond « ah bon ? Pourquoi pas sur un ? »… l’insouciance de la jeunesse, d’aucun dirait la connerie, faut voir, la connerie ça se mesure, ça contamine aussi… L’idée ? Après l’avoir parcouru l’année dernière sur deux jours (10h de descente le 1er et 6h le 2ème) avec navette, une envie de faire la Bendola en une journée avait fini par germer dans nos esprits torturés. D’autres l’avaient déjà fait, pourquoi pas nous ? Par défi, j’avais lancé à la cantonade l’idée saugrenue de faire l’approche à pied, façon écolo (13km 1600m de dénivelé). Foin de carrosse et autre char pollueur, du confort inutile et petit bourgeois du véhicule à chauffeur, nous partirons dès potron minet et nous irons par monts et par vaux et porterons notre peine valeureusement à la seule force de nos jarrets ! La littérature sur le sujet est assez peu loquace, pas vraiment bavarde. Pour la faire causer faut déplier les cartes, décrypter les topos, farfouiller sur le net. Il existe bien un Gr, le 52A qui longe la Bendola puis s’éloigne du canyon. Mais pour rejoindre le départ du canyon il faut suivre une trace hors sentier, des vires douteuses parcourues seulement par des chamois et un mystérieux humanoïde dont Fred a retrouvé le récit sur la toile (le site de Marc). Un amoureux du coin et des grands espaces, qui régulièrement part 4 ou 5 jours chargé comme un mulet pour parcourir marche d’approche et descente du canyon en solitaire, un acète, une légende, on soulève son chapeau rien qu’en entendant son blaze…… un fondu, quoi !
L’algorithme de l’automne…
Finalement tout se décide assez rapidement, une fenêtre météo correcte se présente et un sms plus tard nous posons notre lundi qui désormais nous oblige. On part sur 2 jours pour évaluer la faisabilité du truc. Les jours qui précèdent sont un peu flippants, chaque jour qui nous rapproche du départ alourdi mon sac ! Lourd comme un cheval mort. Le problème du sac à dos est un problème connu… en algorithme on appelle ça un problème combinatoire ou d’optimisation sous contrainte ! Grosso modo ça se résume en général par la diatribe « Putain , mais ça va jamais tout rentrer dans mon sac ! ». En fin de compte si, mais à quel prix ou plutôt à quel poids ? Entre 15 et 20kg selon qu’on aura ou pas les combis dans le sac, le plein d’eau et de bouffe, les cordes… Le départ sonne à 16h vendredi, on casse une graine à 20h sur l’autoroute et les douaniers nous laissent entrer dans la vallée de la Roya vers 22h… les douaniers ? On est revenu sous la IVème ? De retour chez Cotti ou bien ? Les Russes sont à nos portes ? Comme accueil je voyais ça autrement, plus chaleureux, sans parler de sortir la fanfare et les cotillons, les Famas c’était pas obligé… L’automne est bien là, la chasse est ouverte, mais la chasse à quoi ? Histoire d’ajouter à la morosité ambiante c’est direction le cimetière de Saorge que nous prenons pour poser nos valises pour la nuit, au moins on est sur de la tranquillité du voisinage. Minuit sonne et nous nous couchons enfin.
Les Pénitents
3h30 faut se lever et mettre la tenue pour la marche d’approche. Pour le bas je choisi un maillot de bain classique avec des grosses chaussures et pour le haut une doudoune bleue électrique, Fred préfère un collant moule burne et délaisse ses tongs pour des chaussures en toile légère bleu assortie d’une doudoune rouge carmin, Thomas est plus discret en short noir et polaire grise. La fashion week attendra ! 4h45 le trio défile ainsi dans les rue de Saorge qui dort encore du sommeil des justes, pour prendre le bien nommé chemin des pénitents qui nous fait courber l’échine… le poids de nos pêchés ? L’orgueil ? Peut-être, va savoir ! En tout cas c’est raide. Il fait frisquet mais on se réchauffe vite, nous dépassons une jolie chapelle perdue au milieu de nulle part et nous stoppons la course afin de nous délaisser d’une couche vestimentaire sous peine de surchauffe. On en profite pour grignoter, « quelqu’un veut un BelVita ? ». Il fait encore nuit, le chemin grimpe sans faiblir, nous devons maintenir un effort soutenu pour grimper à la Baisse… Oui la Baisse… Chez les indigènes du coin il faut comprendre le col, en l’occurrence la Baisse d’Anan.
L’attaque sournoise du Patou et de ses petits copains…
Une fois franchit la Baisse de Lugo le chemin fléchit quelque peu, sur une piste plus large on respire à plein poumons lorsque des aboiements nous alertent. Des chasseurs ? Non, pire des gardiens, que dis-je une armée, des qui se prennent pour des moutons, pas n’importe lesquels : des Patous ! « faut faire demi-tour c’est des Patous !» Vu le nombre d’accidents avec ce genre de bestiaux j’ai pas envie de négocier le passage, je préfère le détour à la morsure, la honte plutôt que le mollet déchiré ! Un Patou charge, il arrive droit sur nous accompagné par 2 collègues plus petits mais plus aboyeurs qui tentent de nous prendre à revers. Nous stoppons notre retraite et faisons courageusement face à la horde de chiens féroces qui voit arrivé en renfort un nouveau Patou et son compère un ridicule sans pédigrée bien capable de nous mordiller les tendons d’Achilles. Désormais ils sont 5 et nous 3 le déséquilibre des forces décuple notre courage, nous progressons et surpris par tant de bravoure, désarçonnée par une tactique digne de Sun Tzu la horde stoppe sa charge et recule. Devant la désunion de l’armée canine nous en profitons pour gagner du terrain et terrassons l’ennemi en franchissant ses lignes aisément et poursuivons notre chemin sous les bêlements admiratifs d’un troupeau de moutons conquis, ignorant les glapissements ridicules de l’armée en déroute !
Bipèdes 1 canidés 0 !
Le froid !
Désormais plus rien ne peut nous arrêter, nous faisons halte sur le point culminant de la journée, un col à 1800m dans un décor grandiose « quelqu’un veut un BelVita ? ». La douceur de la lumière, les couleurs pastels de l’automne, le jour qui se lève, les montagnes alentours et la mer au loin, voilà pour le cadre…
Cet incroyable panorama nous donne du baume au cœur pour franchir les derniers kilomètres qui nous séparent de l’entrée du canyon. Nous longeons à flanc de colline les prairies sauvages du vallon de Marta sur les sentes du fameux Hermite canyoneur, au loin un chamois s’enfuit, le soleil nous réchauffe, le paradis n’est pas loin… l’enfer non plus, en glissant lentement dans le canyon l’ambiance change et le contraste est saisissant. C’est peu dire qu’il fait froid, la combinaison une fois enfilée ne nous réchauffe pas du tout, je frissonne, je tremble. Nous avons perdu du temps sur le changement de tenue et nous en perdons encore en hésitant à sauter dans des vasques croupies ! Nos tergiversations nous coutent un temps précieux et si nous souhaitons arriver avant la nuit il va falloir enquiller les 35 rappels et envoyer sévère. Heureusement, rapidement nous trouvons notre rythme, les automatismes se mettent en place et les rappels s’enchaînent. Nous avons chacun une corde et de quoi équiper, l’un de nous part devant équipe et sécurise un rappel et attend les deux autres. Le premier à descendre est celui qui porte la corde du prochain rappel à équiper, l’autre aide à déséquiper et plier le matos et ainsi de suite. C’est bien rodé mais c’est tout de même très long. La routine est entrecoupée de marche et de désescalade dans des chaos de gigantesques blocs comme si des dieux étaient venus ici jouer à la pétanque… certaines cascades sont superbes, le décor est grandiose, l’ambiance étonnante tantôt austère, tantôt féerique. Même si nous ne rencontrons qu’un faible filet d’eau les vasques sont franchissables à la nage, les plus croupis sont évitables, nous profitons d’une résurgence pour remplir les gourdes, manger une graine « quelqu’un veut un BelVita ? ». De temps en temps le soleil arrive au fond du canyon créant des jeux de lumières étincelants. Mais le temps passe, les rayons du soleil faiblissent, les ombres se penchent annonçant l’arrivée inéluctable de la nuit. Trois cascades, il nous reste trois cascades et 20 minutes de marche avant le bivouac si nous avons bien lu le topo… heureusement oui, il fait presque nuit à l’arrivée au bivouac des Ours, 19h35 quand je regarde l’heure, presque 15h qu’on est parti…
L’apéro
Heureux de poser nos sacs, nous délaissons nos combis humides et froides pour la tenue du bivouac qui n’est rien d’autre que celle de la marche d’approche. Nous préparons rapidement un feu et la voix de Fred brise soudain le silence « apéro ? » Thomas sourit il n’en espérait pas tant, moi j’ai du mal à réaliser. Il a vraiment ajouté à tout son barda un cubi d’un litre et demi ? ben oui c’est Fred… Assis autour du feu, éclairé à la lueur de la lune, le vin et le temps s’écoulent, nos corps fatigués se réchauffent et s’apaisent enfin des tensions de cette très longue journée… la nuit sera douce et agréable dans ce bivouac 4 étoiles…
Un pont trop loin
Normalement le matin tu mets ta combi, tu fais trois pas et plouf ! Sauf que là, le débit est insuffisant pour sauter dans la première vasque de la journée. Néanmoins rapidement il faut nager… le canyon est encore très encaissé, on nage dans des vasques plus ou moins grandes entourées de cascades de tuf ou dans des biefs parfois interminables. A la nage, succèdent de longues marches aquatiques dans de superbes estrechos. La fatigue est bien présente, les cordes inutiles sur cette partie mais gorgées d’eau alourdissent encore nos sacs, les épaules sont douloureuses. Chaque sortie de vasque devient un petit calvaire, l’absence de ceinture ventrale m’oblige à enlever mon sac pour nager. Pour le remettre, c’est chaque fois un effort couteux et pénible qui me fait perdre du terrain sur mes camarades…
Enfin le canyon s’ouvre, on sort de l’encaissement. Le final est une longue chevauchée vers un pont, le pont de Castou signifiant le terme de l’aventure, symbolisant le passage entre la nature sauvage du canyon et la vie urbaine…entre les deux une marche d’une heure sur piste nous attend comme pour revenir en douceur à la civilisation…
« Quelqu’un veut un BelVita ? » non Thomas, personne « garçon 3 pressions ! »