La Bendola (alpes maritimes)
Avec Christian Fred et Thomas
Activité : Raid Canyoning
Un 13 septembre 2020
Un sanglier crevé dans une vasque, juste avant c’était une chèvre et 3 petites musaraignes qui flottaient dans une autre…puis encore 2 autres sangliers…
ça tombe comme à Gravelote dans la Bendola … la chasse ? Un suicide collectif ? Le dérèglement climatique ? C’est plus un ruisseau c’est un cimetière flottant ! Tant que c’est pas le nôtre ou celui de nos espérances ! Pas le temps de faire une autopsie, il faut sauter et nager dans la vasque croupie en évitant de boire la tasse… il faut trouver de l’eau au moins buvable aussi, remplir les gourdes et courir entre les rappels…plus que 28…
Ce qui nous perd c’est la bière… comme dit Fred si on voulait arrêter de faire des conneries faudrait arrêter de boire… ce qui devrait nous sauver pourtant c’est la mémoire. Mais la mémoire fonctionne avec l’oubli et au cours de nos vies nous nous abreuvons à ces deux sources… la mémoire finit toujours par nous faire défaut et les souvenirs douloureux se dissipent en même temps que les courbatures… puis on recommence… on boit des bières on dit des conneries et après on les fait… rien de très glorieux je vous l’accorde on a les compagnons de beuverie qu’on peut… Nous ça nous emmène à la Bendola, c’est pas le Yang Tsé Kiang c’est sûr mais c’est quand même un drôle de voyage…
Je me dépêche d’écrire, il me reste quelques douleurs aux jambes ça m’évitera peut-être de recommencer avec les 2 loustics…
Si vous avez suivi le 1er épisode (la Bendola 1) on avait expérimenté en 2017 la Bendola avec marche d’approche en 2 jours avec l’idée saugrenue de revenir la faire façon PGHM en un seul ! Il nous avait fallu 15h pour arriver au bivouac des Ours, puis 5h encore le lendemain pour sortir du canyon et encore 1h00 pour revenir au village, avec plus ou moins 20kg sur le dos. Cette fois nous misons sur moins de vingt heures d’effort. Nous étions gras comme des loukoums et lent comme des escargots, nous serons rapides et légers comme le vent !
Accroché à flanc de falaise à l’entrée de la vallée des merveilles Saorge est comme un appel à la contemplation, à la dolce vita, une invitation à la lenteur et à la poésie…et pourtant !
Une fois posé au gîte bien nommé ‘Au temps qu’on sème’ nous évoluons au rythme de l’homme pressé, il nous faut préparer les sacs pour le lendemain, répartir les charges, se restaurer et se coucher tôt pour un réveil aux aurores…
Mais pourquoi s’infliger ça ? Pourquoi quitter le charmant village de Saorge ? Pour tenir parole ? Pour le plaisir de l’inutile ou simple égo trip ? Un peu tout cela à la fois sans doute, mais quelque soit la motivation nous sommes déterminés.
Au lit à 20h, c’est quand même tôt. Comment fait-on pour s’endormir rapidement ? je ne sais pas et plutôt que de compter les moutons, je compte les heures qui sonnent au clocher de l’église qui égrène un compte à rebours angoissant. Le temps semble s’accélérer à mesure que se rapproche l’heure du réveil… je suis frappé du syndrome de l’insomniaque, je dors sans doute plus que je ne crois mais moins que je ne voudrais… 1h, j’ai plus qu’une envie me lever et me mettre en route, marcher et arrêter de penser. Dans mes courts moments ensommeillés je fais des rêves d’attaques de chiens et de rappels interminables… Le temps de rêver est bien court… Dans son rêve à lui, Thomas entrevoit une étrange lumière blanche et aveuglante, c’est ma frontale qui le réveille brutalement, il lui faut quelques secondes avant d’émerger de sa torpeur et reprendre pied avec la réalité… 2h du matin, on traverse le village endormi et on entreprend le long périple (un peu moins de 12km, 1500m de dénivelé) qui nous mènera à l’entrée du canyon.
Il fait remarquablement doux, nos sacs sont légers (une dizaine de kilos), Fred mène le train, il lance la 1ère charge dans du pentu à un rythme très soutenu. Les aboiements des Patous nous accompagnent, cela signifie peut être que les bergers ont redescendus les Moutons, ce qui nous évitera de perdre du temps sur les hauteurs. On s’arrête juste pour boire un peu d’eau à une fontaine éteindre nos frontales et contempler la voute céleste. On reprend notre périple, Fred mène toujours la danse, on passe devant la bergerie de la Baisse de Lugo qui nous avait demandé une longue négociation avec les Patous il y a 3 ans. Cette fois la place est déserte, pas de chiens, pas de moutons, pas de bergers… ouf ! nos craintes s’estompent quelques instants avant que des aboiements gutturaux ne laissent aucune place au doute : revoilà les Patous !
Nos frontales éclairent une dizaine de paires d’yeux ! Comment vont-ils réagir de nuit ? Nous confondre avec des loups ? Pas le temps pour la question, on bifurque dans les bois afin de s’éloigner du troupeau, de la menace mais aussi du chemin… pas grave, on se dirige au gps comme on peut, on joue les sangliers avec les Patous à nos trousses qui finissent par renoncer… c’est ainsi que nous parvenons au point culminant de la course à 1845m à la Baisse de Pourtiguère.
Plus éclairé que mes 2 compagnons (qui a dit c’est pas difficile ?) je prends le relais pour tracer notre chemin à travers les hautes herbes des balcons de Marta, l’aube blanchit lentement et nous longeons la Bendola puis plongeons dans la gueule de la belle… On se pose un peu, on philosophe et à l’instar de Camus on se demande si l’on peut imaginer Sisyphe heureux, à notre quête de sens seul le silence de l’heure bleue nous répond…
Une fois changé et restauré 7h00 sonne le départ de la 1ère partie du canyon, une longue descente verticale faite de 35 rappels. Bien organisés nous les enchainons rapidement, le canyon est très sec sur le haut puis l’eau apparait doucement, les rappels sont entrecoupés de marches parfois très longues, de désescalades pas toujours simples et de quelques brèves pauses pour grignoter et remplir nos réserves d’eau dans des affluents ou des résurgences.
Dans cette course éperdue voilà qu’apparait la vasque en forme de cœur qui réchauffe le nôtre et nous regonfle à bloc ! Cette vasque est le repère d’un bivouac 5 étoiles et signe la fin de la 1ère partie du canyon, aujourd’hui pour nous c’est un passage et un juge de paix. C’est la première fois que j’arrive ici en plein jour, le verdict est on ne peut plus optimiste il est 13h soit environ 6h avant la nuit qui nous condamnerait à un bivouac improbable des plus inconfortable.
Nous pouvons souffler ranger les cordes qui deviennent inutiles dans la 2ème partie et se laisser bercer par l’eau de la Bendola qui semble alors fredonner à nos oreilles comme un doux chant de victoire… Nous repartons euphoriques 40min plus tard, remplis d’espoirs pour la longue randonnée aquatique qui nous attend.
1h20 plus tard la fatigue nous rattrape, elle s’immisce dans nos esprit et nous mine doucement… les biefs sont interminables et semblent se succéder sans fin, le soleil perce de moins en moins, la nage nous épuise lentement, les épaules sont douloureuses, les pierres sont glissantes, nos pas sont moins sûrs et l’heure avance… Thomas en profite pour se distinguer, il est comme nous marqué mentalement mais plus frais physiquement, l’apanage de la jeunesse sans doute… c’est lui qui prend les rênes pour imposer et maintenir un tempo régulier et assez rapide malgré un sac plus lourd (sic)… Avec la fatigue et son corollaire le manque d’attention, nous devenons plus maladroits, nous perdons plus facilement l’équilibre et Fred se prend 2 belles boites heureusement sans conséquences…
Je ferme la marche, légèrement en retrait tête baissée je progresse doucement dans le lit de la rivière. J’ai mal aux jambes et aux épaules, j’ai débranché le cerveau et j’avance silencieux en mode robot… je ne sais pas combien d’heures il nous faudra avancer ainsi… je relève la tête un instant et telle une apparition divine m’apparait le pont de Castou qui signe la fin du Canyon. Il est 19h ! voilà 17h qu’on marche, qu’on court qu’on tire des rappels, qu’on plie et déplie des cordes, qu’on saute dans des vasques et qu’on nage dans des biefs…
il est temps de se changer, de sourire un peu et d’entreprendre les 4km de marche jusqu’au village de Saorge… ça c’est fait, pour moi c’est un drôle de défi, pour Fred et Thomas c’est une case de cochée pour cette année avant d’autres projets… et avant de revenir en mode plus doux dans cette merveille des Alpes du Sud…
A propos de la Bendola (ma 4ème) les avis divergent (et ça fait beaucoup pour un seul homme), d’aucun la trouve trop longue, harassante, pas toujours très belle, trop de marche, trop de nage, et trop ceci et pas assez cela… Retournez à vos insatisfactions, à vos parcs de loisirs et à vos plaisirs prêtS à consommer et laissez-nous la Bendola… la véritable beauté ne s’offre pas facilement encore moins aux esprits nourris à l’immédiateté, aux yeux gavés par Instagram… il faut prendre son temps (pas comme nous), y revenir, s’immerger, ouvrir les yeux, se laisser envahir…on finit alors par la découvrir comme on aime quelqu’un avec ses imperfections…
La Bendola c’est un voyage, un drôle de voyage, c’est pas le Yang Tsé Kiang… mais pour sûr, la Bendola nous reverra traîner nos guêtres par chez elle…
Quelques photos : cliquez ici